jeudi 25 février 2010

Gaga des logos

Depuis que nous avons l’âge de comprendre le rôle de la publicité, nous avons tous conscience des multiples significations contenues dans les images que l’on nous soumet. Et surtout, nous sommes tous conditionnés à ce que les signes, autrement dit les logos, aient une signification en terme de marque, tel un lien invisible mais fort dans notre esprit qui relierait instantanément de simples formes et couleurs à des marques bien réelles.



Le logo, un des outils de communication les plus répandus et les plus banals, permet d’identifier n’importe quelle institution ou marque, mais aussi de créer de l’attachement et de l’affect auprès du public. Il est porteur d’une dimension stratégique énorme, car son caractère évolutif permet d’inscrire les marques dans l’histoire et de les projeter dans le futur au fil des évolutions et des remaniements. Au commencement de l’histoire du logo, les entreprises étaient en général positionnées sur un secteur d’activité bien défini, secteur que le logo devait représenter, à l’image de l’ancien logo Gaz de France et sa flamme de gaz stylisée. Mais aujourd’hui, l’internationalisation des groupes et la diversification de leurs activités obligent à avoir des logos toujours plus épurés et généraux, tout en abandonnant les signes graphiques qui ont un sens réel. Si un logo est traditionnellement composé par une forme graphique et un nom qui lui est associé, on a progressivement vu apparaître des logos constitués uniquement du nom de la marque avec une typographie reconnaissable, comme pour la chaîne Arte, ou au contraire un simple signe graphique sans le nom, comme le « M » jaune de McDonald’s. Cette dernière pratique est réservée aux marques anciennement implantées dans l’esprit des consommateurs, et dont la forme graphique du logo se suffit à elle-même pour impacter le public.

Nous vivons dans un logoworld
C’est par les logos que les marques nous font rêver, quelque soit la réalité qui se trouve derrière. On peut ne pas aimer le Coca mais néanmoins fantasmer devant ce que représentent ces mots rouges en police manuscrite (c’est en tout cas ce que je ressens) ; ou encore, ne jamais avoir regardé la BBC de sa vie mais considérer son logo comme une image de marque et de sérieux. Et le grand pouvoir des logos explique pourquoi Naomi Klein les a choisi comme symboles de la société de consommation et de l’emprise des nouveaux dictateurs, les marques, dans son livre "No logo" publié en 2000. Elle y montre que, par la publicité et la fusion de tout ce qu’une marque représente dans un seul logo, les marques s’imposent à notre imaginaire de façon quotidienne et insidieuse, en nous séduisant par des couleurs et des formes qui attirent l’œil, sans laisser de choix et d’espace pour le reste.
Ainsi, l’imaginaire des consommateurs serait constitué d’une multitude de logos flottant dans l’espace intersidéral de leur cerveau (un peu comme ça...) ou de façon plus poétique et organisée comme dans ce film, Logorama, de Nicolas Schmerkin, qui est actuellement en course pour l’Oscar du meilleur Film d’animation court-métrage en 2010.

Quand les logos incarnent une dimension éthique
A côté d’une vision alarmiste du pouvoir néfaste des logos, il convient également de relever des cas où ces derniers accomplissent des actions louables, comme par exemple l’opération « Save your logo », lancée en octobre 2008. Malgré ce que l’on pourrait croire au premier abord, elle n’est pas destinée à protéger juridiquement les logos déjà créés, face à une concurrence croissante. C’est au contraire une action humanitaire réunissant toutes les marques qui utilisent l’image d’espèces animales de la biodiversité dans leur logo afin de financer leur protection réelle dans leur territoire d’origine. Autrement dit, l’idée est que la marque Lacoste se mobilise pour aider financièrement à la protection des crocodiles, tandis que les chocolats Côte d’Or soutiennent les éléphants d’Afrique. Cela permet de prolonger des logos déjà dotés d’un fort affect en leur ajoutant une dimension réelle, grandeur « nature » et solidaire.

Si j’ai choisi le sujet des logos pour cet article, c’est au départ parce que je suis tombée sur un article traitant d’une exposition de Josef Schulz dans la galerie Heinz-Martin Weigand (Allemagne) de janvier à mars 2010. Comme l’indique le titre de l’exposition, « Sign out », il s’agit de montrer des photos d’enseignes commerciales (en anglais « sign ») prises aux Etats-Unis et dont l’artiste a retiré le nom de la marque, pour ne laisser que la forme graphique et la couleur. Ainsi, le logo apparaît dans son aspect le plus primitif, dénudé et vidé de son sens, il perd sa dimension effrayante de dictature des marques et d’imaginaire consumériste. Mais, je doute que beaucoup d’entre vous aient l’occasion de se rendre jusqu’à Ettlingen. Alors, n’oubliez pas : si le logo vous plaît, la réalité de l’entreprise qu’il y a derrière n’est peut-être pas aussi séduisante.

4 commentaires:

  1. Très intéressant, vraiment!
    Au passage : je crois qu'au départ le logotype désigne le "nom de la marque" (genre Arte ou l'Oréal), tandis que le signe en lui-même s'appelle l'emblème.
    Merci pour cet article.

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  3. Ce qui est surtout intéressant c'est l'universalité du logo, il concentre en lui le fait que le signifié et le signifiant correspondent à une même réalité ontologique d'un point à l'autre du globe.
    Coca Cola s'écrit et se dit "Coca Cola" partout dans le monde, et renvoie à chaque fois à la même chose. Seule "l'image de marque diffère" puisqu'elle est liée à des particularismes culturels (je ne crois pas que leurs publicités de Noël avec les ours polaires fonctionnent dans des pays où on chasse ces animaux par exemple, l'animal y perdrait toute sa symbolique...).

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  4. Merci pour cette information sur la notion de signifié et de signifiant. Au départ, je voulais écrire un article sur cette idée-là, qui est quand même assez complexe, donc je me suis rabattue sur le côté "glamour" des logos :)

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